Un jour d’été, un ami plongeur m’a invité à venir plonger avec lui, j’étais familier des eaux chaudes, et lui me voulait à ses côtés en Bretagne.
Les étapes successives de cette plongée me restent vives et en mémoire, comme capables d’éclairer plus vastes qu’elles.
L’arrivée sur le spot de plongée
Plus exactement sur la plage d’où il fallait partir en zodiac pour rejoindre le lieu de plongée, lorsque j’ai vu l’état de l’océan, mais première réaction méditerranéenne s’imposa : vu l’état de la mer, choisissons un autre jour pour plonger !
Sa réponse se fit cinglante : elle est comme ça tous les jours !
Je l’aurais nommée démontée ce qui produisait sur moi le même effet… elle n’était que chahutée selon lui, donc praticable.
Voguer vers le plaisir
Était la promesse de la montée à bord du semi-rigide pour se rendre à l’aplomb du spot de plongée, le sponsoring officiel de ce trajet devait être Orangina, nous fûmes secoués force 12 sur l’échelle du bon sens, et la pulpe – entre autres – ne tarda pas à être franchement décollée du fond.
Alors que nous voulions nous y rendre.
Un des avantages, peu communiqués, de ce type d’embarcation est de vous traduire l’exact relief extérieur des vagues au creux même de votre parois stomacale qui, dès lors, cherche en vain pourquoi elle est faite, et vous oriente avec netteté vers quelques lectures sartriennes, la nausée.
Plonger vers l’inconnu
Lorsque vous arrivez au lieu même de la plongée, vous n’êtes pas tentés de rester à bord pour profiter du soleil, d’aucune mauvaise langue irait jusqu’à dire qu’il y en avait pas, ou plus, ou jamais. Alors que c’est exagéré, nous dirons avec modestie qu’il ne nous encombrait pas de sa présence, il rayonnait comme caché à l’aplomb de sa gloire. Entre les flots en mouvement et la météo contredisant nettement l’unanime consensus du réchauffement climatique, se décider à basculer dans l’eau s’impose, seule voie pour sortir de l’inconfort grandissant.
Ceinture de plomb bouclée, comme autant de bouches tentant d’émettre une réserve quant à la pertinence de poursuivre l’expérience, détendeur entre les maxillaires, une main sur le masque pour éviter que lui aussi veuille se sauver, la bascule arrière arrive comme mettant enfin un terme aux vertus de la petite bouteille ronde qui s’époumonait toujours en de brèves invectives : secouez-moi, secouez-moi !
Immergé
Si la première erreur fut de monter à bord de l’impétueuse embarcation, la deuxième a été de croire qu’arrivé dans et sous l’eau tout allait s’arranger…
Je ne sais quel conflit larvé opposent les autochtones et les fournisseurs d’énergie, toujours est-il que si l’eau bretonne conserve son antique aptitude à mouiller, elle devient sœur des mers baltes dans celle à glacer. Le néoprène de la combinaison opposant avec vaillance ses 5,5 mm d’épaisseur demeure un peu fluet pour vous protéger des assauts glaciaires.
Vous revient alors en mémoire l’oeil de merlan frit d’un Di Caprio post naufrage, sauf que là pas de bien-aimée pour vous réchauffer le cœur. Notons que les communes particularités physiques entre Kate Winslet et notre moustachu chef de palanquée restent une terre inexplorée…
Notons également que les effets de Kate et de l’eau locale sont inversement proportionnés sur la dimension externe des parties génitales masculines, le bouillon breton lui dévoile une réelle parenté avec l’astre solaire susnommé : se cacher et se faire tout petit, il irait même jusqu’à s’expérimenter retractile comme s’exclameraient les anglais. Autres bretons.
Water world
Secoué, réfrigéré, nauséeux, me voilà sous l’eau, je vide mon gilet et ouvre de grands yeux tout avides de découvrir les merveilles cachées de cet océan ignoré.
Cachées est le bon mot, ignoré le cruel vocable : aucune visibilité !
Familier des eaux chaudes avec un dégagement visuel à 30m, une remarque s’impose à moi : pour plonger ici ce n’est pas un masque qu’il te faut mais un chien…
Alors résumons-nous, faisons un point étape, un état des lieux, une approche barométrique de la pression intérieure : secoué, réfrigéré, nauséeux et frappé de cécité, et c’est là que je me suis souvenu que j’avais payé pour me faire plaisir, il y avait comme une différence entre le tourisme et l’émigration, entre la promesse et le réel. Et impossible de faire machine arrière, de remonter à bord pour regagner des rivages plus cléments, la plongée étant collective et étant responsable de mon binôme, j’avais beau gagner dans la conviction qu’une retraite stratégique serait plus opportune qu’une défaite déshonorante, il me fallait rester. Le plongeur connaît que trop bien cet effet psychologique imparable de la profondeur : amplifier l’état intérieur de la surface, si vous allez bien sur le bateau vous irez très bien sous lui, et l’inverse sait se faire mordant.
Et alors ?
Dans ce vécu qui s’apparente au programme essorage d’une vaillante machine à laver, que faire ?
Sans être nostalgique de l’expérience nautique de la carotte dans le pot-au-feu, la perception de l’hostilité du milieu doublée d’une résistance reptilienne – qui en devenait sonore dans ce monde du silence – imposa son diktat : courage, fuyons.
Et là, je me souvins de cette autre particularité sous-marine : la mer est comme un mille-feuilles et les courants sont divers en fonction de la profondeur, l’issue devint évidente : il me fallait descendre, gagner en profondeur.
Et dans une relative transgression de l’homogénéité de la palanquée, je piquai vers le grand bleu, bien décidé à stopper ma descente lorsque j’arrêterai d’être secoué comme un palmier. Comparaison fort peu à propos en milieu aquatique, mais qui traduit bien la perte de repères du moment. Était-ce responsable d’agir de la sorte ?
Pax & Gaudium
Dans la barre des 15 / 20 mètres, les tumultes du dehors cessèrent, l’eau se fit clémente, je m’arrêtai, gonflai mon gilet, m’établis en flottabilité nulle, je ne montai ni ne descendis, je basculai alors sur le dos, et là – merveille de l’océan breton – des rais de lumière traversaient la masse immobile de l’eau et m’inondaient d’une clarté nouvelle, perçue comme bienveillante.
Et là une nouvelle évidence commença à poindre, lorsque nous sommes secoués, réfrigérés, nauséeux et aveugle, l’issue n’est peut-être pas vers le dehors, mais ne serait-elle pas de gagner en profondeur, à l’intérieur, de l’autre, de soi ? Ce qui donnerait un tout autre regard sur tout ce qui jusqu’alors était perçu comme hostile.